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De Frédéric Neupont : Évocation des Capitouls (partie 2/2)
Habitant
Bonjour, ma deuxième contribution sur le sujet de l'évocation des capitouls porte sur deux éléments plus liés au "donjon" lui-même. Tout d'abord, il existe à côté de l'escalier menant à l'entrée principale un cadre de pierre de la Renaissance disposé à la manière d'un temple antique, dont les chapiteaux des colonnes mettent en oeuvre la superposition des ordres dorique et ionique (voir photo jointe). Dans les cartouches de pierre se trouvaient les blasons des capitouls ayant présidé à l'édification du bâtiment, martelés à la Révolution, je propose donc de faire sculpter à nouveau ces blasons dans ces cartouches. De préférence les originaux s'ils sont connus ou peuvent être devinés. Dans ce même cadre une inscription en latin est gravée dans la pierre : FIEBAT ANNO CHRISTIANAE SALUTIS MDXXV IDIBS NOVEBR NOBILIBUS PREINSIGNITIS CAPITOLINIS DECURIONIBUS, qui signifie "A été fait l'année du salut 1525 aux ides de novembre par les nobles et très distingués décurions du Capitole". Un panneau explicatif posé à proximité pourrait partir de cette citation, et du terme surprenant de "décurions" utilisé ici, pour expliquer la lutte incessante des capitouls pour faire valoir leurs prérogatives auprès des autorités royales. C'est aussi à cette époque que la maison commune prit le nom de "Capitole", évoquant également Rome. Exemple d'explication historique possible : Confrontés à une récurrente remise en cause de leurs droits et prérogatives par les autorités royales et par le Parlement de Toulouse, les capitouls cherchèrent tout au long de leur histoire à promouvoir leur institution, leurs coutumes et leur légitimité. A la Renaissance les capitouls prétendaient tenir leur ancienneté de l'Antiquité romaine et de l'empereur Théodose. Derrière cette légende (puisque le capitoulat fut créé en 1147), il s'agissait pour l'institution de se réclamer d'une légitimité plus ancienne que celle des rois de France afin de donner plus de poids à ses revendications. Dans cette lutte d'influence où l'image avait toute son importance, on renoua alors avec la Palladia Tolosa des poètes latins Martial, Ausone et Sidoine Apollinaire, la Toulouse antique placée sous le patronage de la déesse Pallas-Athéna présentée comme protectrice des sciences et des arts. Pallas devint symboliquement la personnification de la ville, on la trouve représentée dans les sculptures, peintures et illustrations édilitaires de l'époque. En 1522 l'hôtel de ville de capitulum (chapitre) devint Capitolium (Capitole), traduisant la volonté d'imiter Rome et ses références antiques. En se posant en "décurions" siégeant dans un "Capitole", les capitouls de la Renaissance créaient des liens idéalisés entre l'élite toulousaine et la Rome antique. Tout d'abord contestée par les agents royaux, cette obstination à glorifier l'institution finit à la longue par porter ses fruits : Au XVIIIème siècle le roi Louis XV écrivait de sa propre plume " Lesdits capitouls de Toulouse acquièrent par leur charge, pour eux et pour leurs descendants, le droit de noblesse. Ils ont joui de tout temps de de ce droit, même avant l'union du comté de Toulouse à la Couronne et cette noblesse est si ancienne qu'on n'en connaît pas l'origine." L'autre élément lié au donjon à mettre en valeur est une superbe réalisation de la Renaissance toulousaine : je propose d'installer à proximité une copie en bronze ou en résine de la "Dame Tholose" de Jean Rancy exposée au musée des Augustins(voir photo jointe), représentation toulousaine de Pallas-Athéna, qui de 1550 à 1823 se trouvait placée au sommet du donjon. Voici ce qu'écrit Pascal Julien à son sujet dans le catalogue "Toulouse Renaissance" (extraits), qui pourrait servir de base à un panneau explicatif : "En 1529, Jean Rancy avait sculpté une statue d'enfant pour servir de girouette à la tour des archives de la ville [ l'actuel "donjon" ndlr] récemment érigée. En 1544 celle-ci s'étant "gastée", les capitouls lui commandèrent le modèle de bois d'une autre statue qui fut fondue par Claude Pelhot en 1550. Une fois dorée, cette "imaige et figure de léton appelée Tholose" fut placée sur la tour, sur une sphère ornée de fleurs de lis. Elle brandissait une girouette alors que sa main gauche reposait sur un écu aux armes de la ville, avec l'inscription CPQT MDL, soit Capitolium Populusque Tolosanum 1550, "le capitoulat et le peuple de Toulouse" qui, inscrite à la manière du S.P.Q.R. romain, renvoyait à Rome et à l'idée de république urbaine, les capitouls de la Palladia Tolosa se targuant de siéger au sein d'un "Capitole". [...] Cette allégorie de bronze, unique en son genre, est d'une étonnante ambition technique et artistique. La fonte de grandes statues était alors rarissime en France en dehors de l'art royal, et nul - pas même en Italie - ne s'était risqué à une oeuvre aussi dynamique, campée sur un seul appui. L'arsenal de Toulouse fournit à Rancy des outils et un savoir-faire important en matière de moules et de coulées, en la personne de Claude Pelhot. [...] Pelhot coula Dame Tholose dans les forges de l'arsenal de la ville, dans l'enclos des Cordeliers, sous la supervision de Rancy. L'élan de cette statue est accentué par l'envol de plis sinueux alors que sa courte robe à l'antique moule ses formes généreuses et souligne sa sensualité. Resserrée à la taille, cette robe s'entrouvre sur la nudité de la jambe d'appui et laisse libres deux seins ronds et fermes. Le visage aux traits réguliers ainsi que la chevelure ondulée répondent aux canons classiques, mais la silhouette s'apparente peu à l'art bellifontain, évitant formes fuselées ou membres allongés. La puissance du corps tenait compte de l'éloignement du regard mais nulle faute anatomique lourde ne vient entacher son attitude. Avec une telle oeuvre, Rancy s'affirme comme étonnamment précoce, par la maîtrise du drap mouillé qui fera la force de Jean Goujon, par la science des gestes, des torsions et des multiples points de vision, principe qui sera théorisé par Cellini ou encore par l'élancement du corps, techniquement et artistiquement inédit. Par comparaison, le Mercure volant de Giambologna vient immanquablement à l'esprit, mais la conception de celui-ci fut de plus de quinze ans postérieure. La présence de Dame Tholose lors de l'exposition du Louvre "Bronzes français de la Renaissance au siècle des Lumières", en 2008, a consacré sa place éminente dans l'histoire de la statuaire française en bronze." Une statue toulousaine de la Renaissance précurseur du célèbre Mercure volant ? Voilà qui mériterait une place de choix près de notre donjon où elle trouverait un large public. Notons qu'une copie a été faite dans les années 2000 pour être placée au sommet de la colonne Dupuy, un moule doit donc probablement exister déjà.
Mis en ligne sur le site de Toulouse Métropole le 20/04/2019.
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